Nouakchott

Interview ‘’RESSACS - Une histoire touarègue’’ : Entretien avec le réalisateur, Intagrist

‘’Ébranlés par la colonisation, la sédentarisation, les sécheresses, les rébellions et exils cycliques, les Touaregs tentent leur ultime survie’’. Intagrist el Ansari le réalisateur du film « RESSACS - une histoire touarègue », sonne l’alerte.

Image Intagrist el Ansari, réalisateur du film « RESSACS - une histoire touarègue » | Lors de la projection avant-première - IFM | Avril 2025 | Crédit phot @CulturesMauritanie
  • Publié le 22 avril 2025 à 04:52
    Mise à jour 22 avril 2025 à 19:53
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    Cultures Mauritanie : ‘’RESSACS - Une histoire touarègue’’, qu'est ce qui explique ce titre?


    Intagrist: Le Ressac - ce retour brutal des vagues sur elles-mêmes après avoir heurté un obstacle (Ndlr) - est un titre soufflé par Hamma ag Mahmoud, l’un des personnages du film. Il m’a tout de suite frappé par la puissance de sa métaphore : celle des chocs violents que traversent les Touaregs, secoués par l’histoire, les ruptures, les exils. Le ressac, c’est aussi le va-et-vient de l’exil, cette oscillation entre l’arrachement et le retour, entre l’ailleurs et l’origine.

     

    Le sous-titre «une histoire touarègue » c’est pour mettre l’accent sur la nature singulière (subjective) de l’histoire racontée par le film. C’est une histoire personnelle  Une histoire où l’intime et le politique se mêlent, donc universelle.


    Cultures Mauritanie : Quel est le territoire du monde touareg que vous décrivez dans le film ? Est-il physique, culturel ou symbolique ?

    Intagrist: Le film traverse une géographie très vaste. On n’a pas utilisé de cartes, on n’a pas précisé exactement où l’on se trouve, mais ça va de la mer jusqu’au désert, de Nouakchott à la région de Tombouctou. C’est cette partie ouest du Sahara central qui est au cœur du film. C’est aussi le berceau de mon enfance, celui de la tribu Kel Ansar de la région de Tombouctou dans laquelle je suis né. C’est ce territoire – physique, intime, et chargé de mémoire – que je voulais revisiter à travers le film.



    Cultures Mauritanie : La mer et le désert semblent s’opposer dans le film. Que représentent ces deux environnements pour le Touareg ?

    Intagrist: Dans l’imaginaire touareg – nomade, saharien, profondément ancré dans le désert – la mer incarne un monde lointain, étranger, presque irréel. Y parvenir, c’est franchir toutes les frontières. On ne va pas plus loin que la mer. Elle devient dès lors une image puissante de l’éloignement, de la perte, du déracinement, en miroir du désert, qui reste le cœur battant de l’identité touarègue.


    Juste après, j’ai voulu qu’on comprenne la relation profonde qu’ont les Touaregs avec le désert – cet espace qu’ils connaissent, qui est le leur. Il y a cette idée de fatalité de l’exil. La séquence désert commence justement par l’exil. Je ne dirais pas qu’il sera éternel, mais il va durer.


    La mer, c’est l’inconnu. Le désert, c’est l’espace de vie traditionnel. Il y a un contraste fort entre ces deux mondes.



    Cultures Mauritanie : Au fil de ce long-métrage de deux heures, on sent une certaine inquiétude face à l’avenir du monde touareg…

    Intagrist: J’ai grandi dans un campement nomade jusqu’à l’âge de 10 ans, à la fin des années 80. Aujourd’hui, les campements nomades à Tombouctou se comptent sur les doigts d’une main. C’est cette inquiétude de voir disparaître un monde qui m’a poussé à faire ce film. Et ce n’est pas propre aux Touaregs : partout, les peuples premiers, ceux qui vivent en harmonie avec la nature – en Afrique, en Amérique latine ou ailleurs – ont cette peur de perdre le berceau de civilisation.

    Cultures Mauritanie : Dans cette inquiétude, vous semblez porter la voix des générations futures. Que souhaitez-vous leur transmettre ?

    Intagrist: Je veux qu’elles aient la certitude que ce monde-là a bel et bien existé, qu’il n’est pas une légende. Mon obsession, c’était ça : mettre des images sur l’existence matérielle de ce monde. J’ai donc filmé principalement une génération de gens âgés de 70 à 90 ans, qui ont vécu ce mode de vie nomade. C’est une mémoire vivante qu’il fallait capter avant qu’elle ne disparaisse. Ces personnes, ce sont souvent celles qui m’ont marqué dans mon enfance, dans mon adolescence. Ce sont eux qui nous racontent ce qui ne sera plus là demain.



    Cultures Mauritanie : Cherchez-vous finalement à anticiper l’histoire et à prendre les devants ?

    Intagrist: Je ne suis pas historien, mais l’histoire a une place importante dans le film. Je la traite avec ma sensibilité de cinéaste, pas de manière académique. Ce sont des questions qui me touchent personnellement, et c’est pour ça que je suis allé à la rencontre de ceux qui ont façonné mon regard, depuis l’enfance. Et puis, il y a aussi mon fils, qui est né à Nouakchott et qui ne connaîtra probablement jamais ce monde nomade.

    Cultures Mauritanie : Après onze ans de réalisation de RESSACS au Mali et en Mauritanie, quel message souhaitez-vous que le spectateur retienne ?

    Intagrist: J’ai voulu partager un monde qui m’a profondément marqué : celui de mon enfance, le monde nomade. Le film est une prise de conscience – à la fois personnelle et collective – de la disparition de ce monde. Et c’est aussi la conscience que prennent aujourd’hui de jeunes Touaregs, nés en ville ou en exil, et qui ne connaîtront peut-être jamais ce mode de vie.

    Cultures Mauritanie : « Je vais de Nouakchott à Tombouctou pour excaver des sables ce qu’il te faut savoir de notre histoire ensevelie… », disiez-vous à votre fils. Comment expliquer cette approche presque intime du film ?

    Intagrist: Il y a un moment dans le film où je parle de mon père, de la façon dont les campements nomadisaient selon les saisons. Et juste après, on me voit marcher, errer, sur les traces d’un ancien campement. C’est pour moi un des moments les plus forts du film. Je me suis longtemps demandé comment monter cette séquence. Finalement, je l’ai alternée avec une scène où mon fils est sur un toit, parmi des linges étendus – dans un environnement urbain. Ce contraste raconte tout : d’un côté, les traces effacées du monde nomade, de l’autre, la réalité d’une nouvelle génération, éloignée de cette mémoire. Pour moi, c’est là que se joue l’essence du film : dans cet aller-retour entre ce qui a été, et ce qui ne sera peut-être plus.


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  • Rédacteur . profile-pic La Rédaction
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